Programme 2030 : mise en œuvre, suivi et examen
En adoptant le Programme de développement durable à l’horizon 2030 en septembre 2015, l’Organisation des Nations Unies s’est engagée à œuvrer en faveur d’un monde juste, équitable, inclusif, fondé sur les droits de l’homme et exempt de peur et de violence. Dans le cadre des efforts déployés en faveur d’une croissance économique soutenue, du développement social et de la protection de l’environnement pour tous, le Programme 2030 vise à offrir aux enfants et aux jeunes un environnement propice à la pleine réalisation de leurs droits et de leurs capacités.
Plan d’action ambitieux pour l’humanité, la planète et la prospérité, le Programme 2030 accorde également une place majeure à la lutte contre la maltraitance, la négligence et l’exploitation touchant les enfants et comporte une cible mondiale spécifique (16.2) consistant à mettre un terme à toutes les formes de violence dont sont victimes les enfants, ce qui constitue une nouveauté.
Garantir le droit de chaque enfant à la protection contre la violence est une dimension fondamentale de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. La mise en œuvre du Programme 2030 permet de tendre vers la réalisation de la vision d’un monde que nous recherchons tous.
Pourtant, chaque année, des millions d’enfants souffrent, à travers le monde, de violence sexuelle, physique et psychique, et des millions d’enfants sont en danger. Selon les dernières estimations mondiales, plus d’un milliard d’enfants (soit la moitié de la population infantile mondiale) sont victimes de violence chaque année. Or, un seul enfant victime de violence, c’est déjà trop.
La violence compromet les droits de l’enfant. En outre, elle est souvent associée à des lacunes dans l’état de droit et à une culture de l’impunité, et entrave le progrès social et le développement humain. Plusieurs rapports, études et méta-analyses ont montré les conséquences, tant immédiates qu’à long terme, de la violence subie pendant l’enfance : ses effets sont souvent irréversibles, inhibent le développement optimal du cerveau du nourrisson et de l’adolescent et compromettent le bien-être de l’enfant. Des enfants ayant été gravement maltraités ou négligés sont plus susceptibles d’éprouver des difficultés d’apprentissage et d’avoir de mauvais résultats à l’école, qu’ils finissent parfois par abandonner. Ils sont exposés à des maux tels qu’une faible estime de soi ou la dépression, pouvant déboucher, au pire, sur des comportements à risque et à l’automutilation, à la détérioration des relations personnelles, à l’exclusion sociale et à la criminalité. Plusieurs études et rapports ont établi un lien entre la violence subie pendant l’enfance et l’exposition à des effets pervers en matière de sexualité, notamment l’exploitation sexuelle, la multiplication des partenaires sexuels, le viol (subi ou commis), les grossesses non désirées et le VIH et autres maladies sexuellement transmissibles. Il a été démontré que les violences subies pendant l’enfance pouvaient favoriser chez l’individu l’apparition de plusieurs maladies non transmissibles, notamment les cardiopathies, le cancer, le diabète sucré, le tabac, l’alcool et la toxicomanie.
La violence dont on est témoin peut être tout aussi bouleversante. Les enfants qui grandissent au sein d’une famille ou d’une communauté violente ont tendance à intérioriser cette violence et à y voir un moyen de régler les conflits, reproduisant ainsi les maltraitances à l’adolescence et les infligeant, plus tard, à leurs propres conjoints et enfants.
Au-delà de son effet destructeur pour les individus et les familles, la violence contre les enfants engendre d’importants coûts économiques et sociaux et peut rapidement, annihiler des décennies de progrès en matière de développement. Elle fragilise les investissements que les sociétés font dans l’éducation et la santé des enfants, ainsi que dans la promotion de l’égalité des sexes et de l’autonomisation. Par ailleurs, elle grève lourdement les budgets des systèmes de justice pénale, de santé et d’aide sociale et affaiblit les économies locales du fait des pertes de productivité et de capital humain qu’elle entraîne. À l’échelle internationale, le coût de la violence physique, psychique et sexuelle à l’égard des enfants représenterait jusqu’à 7 000 milliards de dollars, soit l’équivalent de 8 % du PIB mondial.
La plupart des filles et des garçons exposés à la violence souffrent en silence, seuls et dans la peur, se retrouvant souvent laissés pour compte quand il s’agit de bénéficier de l’appui ou des soins qui leur permettraient de surmonter leur traumatisme, et de regagner confiance et espoir pour construire leur avenir et développer tout leur potentiel. Beaucoup d’enfants ne savent tout simplement pas vers qui se tourner pour obtenir de l’aide ou sont incapables de le faire parce qu’ils sont trop jeunes et dépendants, surtout lorsque l’agresseur est un membre de la famille, un aidant, un enseignant ou toute autre personne responsable de leur protection et de leur bien-être.
Dans plusieurs pays où des enquêtes sur la violence contre les enfants ont été menées auprès des ménages, plus de 25 % des femmes et plus de 10 % des hommes ont déclaré avoir été victimes de violence sexuelle pendant leur enfance, mais peu d’entre eux ont recouru à des services d’aide, et parmi ceux qui l’ont fait, tous n’en ont pas bénéficié. Dans la plupart des pays où de telles enquêtes ont été menées, la proportion de victimes ayant reçu une aide, notamment des services de santé et de protection de l’enfance, était inférieure à 10 %, ce qui signifie que la grande majorité des victimes se sont retrouvées isolées et sans soutien. Pour autant, il est possible de remédier au manque de soins et d’attention qui touche les enfants victimes de violence et qui sont laissés pour compte, et ce, avec des solutions éprouvées.
La mise en œuvre du Programme 2030 doit être conforme aux obligations juridiques qui incombent aux États en vertu du droit international. Dans le cadre de la cible 16.2, les États doivent aligner les mesures qu’ils prennent sur les normes établies en matière de droits de l’homme, en particulier la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant et ses protocoles facultatifs. En vue de produire de véritables changements en matière de protection des enfants contre la violence, il convient de s’efforcer de mettre en œuvre le Programme 2030 au niveau national de manière sérieuse et systématique.
En effet, la valeur et le succès du Programme 2030 seront mesurés à l’aune des progrès tangibles accomplis sur le terrain pour mettre celui-ci en œuvre, en faveur, en particulier, de celles et ceux qui sont le plus laissés pour compte, de celles et ceux qui sont les moins visibles et les plus oubliés et des enfants, qui sont souvent les plus exposés à la violence, aux mauvais traitements et à l’exploitation. Il est urgent de promouvoir l’adoption et l’exécution, par chaque pays, d’une stratégie de développement durable globale et cohérente, qui doit être soutenue au moyen de ressources prévisibles et étayée par des éléments factuels solides ainsi que par des données exactes, fiables et ventilées, et évaluée dans le cadre d’une procédure ouverte, inclusive et périodique, à l’aide de critères de référence convenus à l’échelle internationale.
Comme le montre le processus décennal d’application des recommandations de l’Étude des Nations Unies, la cible 16.2 constitue une base très solide sur laquelle s’appuyer. Un nombre croissant d’États du monde entier encouragent les initiatives de sensibilisation et de mobilisation sociale dans ce domaine et disposent, désormais, d’une législation et de plans d’action nationaux judicieux visant à prévenir et combattre la violence, et se sont dotés de mécanismes de collecte et d’analyse de données qui leur permettent de prendre des décisions éclairées en matière de planification, de stratégie à suivre et de budgétisation ainsi que d’en assurer le suivi et l’évaluation. Petit à petit, les systèmes de protection de l’enfance sont renforcés. De plus en plus de professionnels travaillant en contact avec des enfants ou se consacrant à eux sont formés à la détection précoce et à la prévention des cas de violence et à la façon d’y répondre, et apprennent à prendre en compte les témoignages et l’expérience des enfants. Les enfants et leurs familles disposent d’un meilleur accès à des services de conseil et d’assistance juridique et à des services de représentation pour demander réparation, se reconstruire et se réinsérer.
De la même manière que, depuis une dizaine d’années, l’ampleur de la violence à l’égard des enfants est de plus en plus reconnue à l’échelle mondiale, les preuves que cette violence est évitable se multiplient elles aussi, dans tous les secteurs. L’application des recommandations générales de l’Étude des Nations Unies s’étant accélérée, le changement est désormais à portée de main. Pour prévenir la violence et y répondre efficacement, il est fondamental d’élaborer des stratégies nationales globales en la matière ; d’adopter et de faire appliquer des législations interdisant expressément toutes les formes de violence afin d’assurer la protection des enfants ; de collecter, d’analyser et d’utiliser des données dûment ventilées sur l’exposition des enfants à la violence ; de mettre un terme à l’acceptation de la violence par la société ; d’enseigner des compétences parentales positives ; d’aider les enfants à se sentir responsabilisés et de développer leurs aptitudes sociales et affectives ; d’assurer l’accès universel à des services de santé, de protection et de soutien de qualité ; et de s’attaquer aux facteurs qui influent sur les niveaux de violence et sur la résilience des enfants, de leurs familles et de leurs communautés.
Le nouveau programme sert actuellement de base à l’élaboration de politiques nationales et le processus de suivi et d’examen de sa mise en œuvre offre une occasion unique de promouvoir des progrès tangibles vers la réalisation des objectifs de développement durable. Le Forum politique de haut niveau pour le développement durable, qui constitue la principale plate-forme de suivi et d’examen du Programme 2030 à l’échelle internationale, a tenu sa toute première session, dont les travaux portaient, en particulier, sur les examens nationaux volontaires de 22 pays et sur des examens thématiques des progrès accomplis. Les examens nationaux offrent une excellente occasion de mettre en lumière les bonnes pratiques, de recenser les difficultés rencontrées et les enseignements tirés et de renouveler les engagements pris en vue de mettre fin à la violence contre les enfants et d’atteindre la cible 16.2 et les autres cibles relatives à la violence.
Les organisations et institutions régionales jouent un rôle crucial dans la mise en œuvre du Programme 2030, certaines, telles que l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), l’Initiative sud-asiatique visant à mettre fin aux violences faites aux enfants et le Conseil de l’Europe, ayant déjà harmonisé leurs nouveaux plans régionaux de lutte contre la violence à l’égard des enfants avec les objectifs de développement durable.
L’engagement qui est au cœur du Programme 2030 est de ne laisser personne de côté. Le compte à rebours pour atteindre cet objectif a commencé, et le temps presse. Il est impératif d’agir de toute urgence. Investir dans la prévention de la violence, protéger la vie et l’avenir des enfants et, ainsi, préserver les ressources de demain sont des actions qui nous rapprochent plus rapidement d’un avenir meilleur pour tous. Si l’on veut ne laisser aucun enfant pour compte, le mieux est de faire des enfants une priorité ! Il est grand temps de mettre fin à la violence qui, chaque année, gangrène la vie de millions d’enfants : l’occasion que nous avons de changer les choses est trop importante pour la laisser passer.
Marta Santos Pais
New York, le 28 janvier 2016