Protection des filles contre la violence dans le système de justice pénale
Aujourd’hui encore, des millions de filles continuent de subir les effets préjudiciables de la violence physique, mentale et sexuelle à la maison, à l’école, dans leur communauté, dans les centres d’accueil et dans les institutions judiciaires. Les données recueillies dans certains pays montrent qu’entre 80 % et 90 % des filles qui se livrent à la prostitution ou se droguent ont été l’objet d’atteintes sexuelles ou d’autres formes de violence chez elles.
Bien souvent, malheureusement, ces filles risquent d’avoir des démêlés avec la justice pénale. Compte tenu de leur jeune âge et de leur sexe, elles sont doublement désavantagées : d’une part, elles sont sanctionnées pour des faits qui ne sont pas considérés comme des infractions lorsque commis par des adultes, tels que les délits d’état, et d’autre part, elles courent le risque d’être pénalisées pour des infractions fondées sur le genre, telles que les atteintes aux bonnes mœurs ou le non-respect de codes vestimentaires stricts qui ne s’appliquent pas aux garçons.
Les filles sont placées en détention pour des infractions mineures, souvent dans des conditions inhumaines, qui les exposent à la violence sexuelle, à la torture, au viol, au harcèlement et à des fouilles corporelles intimes et à d’autres traitements humiliants de la part d’agents de police ou d’agents pénitentiaires. Dans certains pays, les filles peuvent être condamnées à la peine de mort et à d’autres peines inhumaines, telles que la lapidation, la flagellation et l’amputation.
Dans de nombreuses régions du monde, le système de justice pénale se substitue aux dispositifs de protection de l’enfance, précaires ou inexistants. Trop souvent, plutôt que de bénéficier de la protection à laquelle elles ont droit, les jeunes filles victimes de violences se retrouvent incriminées.
Les filles qui commettent des infractions sont souvent exploitées, contraintes ou manipulées par des adultes, parfois par leur petit ami, plus âgé, ou par des membres de leur famille. Dans de nombreux pays, des filles traumatisées qui sont victimes de la traite finissent par être arrêtées et incarcérées pour prostitution. Au cours de mes visites dans des centres de détention de divers pays, j’ai rencontré un nombre incalculable de filles qui avaient été contraintes de vendre de la drogue. L’une d’entre elles m’a raconté que lorsqu’elle avait été arrêtée (pour possession de stupéfiants), elle ne savait pas ce qu’on lui avait mis entre les mains.
Les filles ne représentent pas la majorité des personnes ayant affaire à la justice pénale, mais, du fait de leur vulnérabilité particulière, elles ont besoin d’une protection spéciale et de mesures de réadaptation et de réinsertion qui tiennent compte de leur âge et de leur sexe.
De manière générale, on constate dans certaines régions qu’aucune solution de substitution aux mesures de privation de liberté n’existe et qu’aucun programme ciblé n’est en place à l’échelle locale pour répondre aux besoins des filles. Par conséquent, on observe avec préoccupation que la population carcérale compte un nombre de plus en plus élevé de femmes et de filles.
La communauté internationale a élaboré et arrêté un cadre solide des droits de la personne pour prévenir et éliminer toutes les formes de violence commise contre les filles dans le système de justice pénale. Toutefois, on constate qu’actuellement, dans certaines régions du monde, les normes internationales sont loin d’être respectées dans la pratique, et il convient dès lors d’y remédier de toute urgence.
À sa vingt-troisième session, en mai 2014, la Commission pour la prévention du crime et la justice pénale a adopté d’importantes normes pour faire face à ces préoccupations pressantes : les nouvelles Stratégies et mesures concrètes types des Nations Unies relatives à l’élimination de la violence contre les enfants dans le contexte de la prévention du crime et de la justice pénale.
Celles-ci reposent sur une démarche intégrée axée sur l’enfant et rassemblent toutes les normes pertinentes adoptées précédemment par l’ONU, y compris les Stratégies et mesures concrètes types relatives à l’élimination de la violence contre les femmes dans le domaine de la prévention du crime et de la justice pénale, qui visent à combattre la discrimination contre les femmes et les vulnérabilités auxquelles ces dernières sont exposées.
Les Stratégies et mesures concrètes types tiennent compte des rôles complémentaires que jouent le système judiciaire d’une part, et les organismes de protection de l’enfance, d’aide sociale, de santé et d’éducation d’autre part, s’agissant de créer un environnement qui permette de protéger les enfants et de prévenir et combattre la violence à leur encontre. Elles permettront aux institutions de justice pénale de renforcer leurs efforts visant à prévenir et à combattre la violence à l’encontre des enfants, ainsi que de redoubler de diligence pour enquêter sur les auteurs d’actes violents contre les enfants, les traduire en justice et assurer leur réinsertion.
Elles ont pour objet de faire en sorte que chaque enfant soit protégé contre toute forme de violence, sans discrimination aucune et que toutes les stratégies et mesures visant à prévenir et combattre la violence à l’encontre des enfants soient conçues et appliquées dans un souci d’égalité entre les sexes.
Les besoins spécifiques des filles et leur vulnérabilité à la violence sexiste sont pris en compte. À cet égard, les États sont instamment priés d’éliminer le risque de harcèlement, de violence et de discrimination envers les filles ; de veiller à ce que les besoins particuliers et les vulnérabilités des filles soient pris en compte dans les processus de prise de décisions et à ce que la dignité des filles soit respectée et protégée lors des fouilles corporelles ; de recourir à d’autres méthodes de contrôle, comme les examens radiographiques, pour remplacer les fouilles à corps et les fouilles corporelles invasives afin d’éviter les traumatismes psychologiques, voire physiques, que peuvent provoquer ces fouilles ; d’adopter et de mettre en œuvre des politiques et des règles claires régissant la conduite du personnel afin d’offrir aux filles privées de liberté une protection maximale contre toute violence physique ou verbale et tout abus ou harcèlement sexuel.
Il est prévu que les nouvelles Stratégies soient adoptées par l’Assemblée générale en octobre 2014. J’ai la conviction que ce nouvel outil contribuera à mieux faire respecter les normes internationales dans la pratique et à faire véritablement en sorte que plus aucune fille et plus aucun garçon ne subisse de violence dans le monde.
Mme Marta Santos Pais,
New York, 15 juillet 2014