La migration et les jeunes : exploiter les possibilités de développement

Nous vivons à l’heure de la mondialisation, dans un monde en constante mutation. Le souci d’améliorer les débouchés économiques et la qualité de vie, d’une part, et l’instabilité politique et les conflits armés, la violence et la discrimination, les changements climatiques et les catastrophes naturelles, de l’autre, sont parmi les raisons qui expliquent les flux migratoires internationaux et internes – du Sud vers le Nord – et, surtout, entre et dans les pays du Sud.

Quelque 214 millions de personnes dans le monde – soit 3,1 % de la population mondiale – sont des migrants internationaux, tandis que 740 millions de personnes migrent à l’intérieur des frontières nationales. Selon la Banque mondiale, les flux de migrants provenant de l’ensemble des pays en développement sont constitués, pour un tiers environ, de jeunes de 12 à 24 ans. Parmi ces jeunes se trouvent, notamment, des millions d’enfants de moins de 18 ans qui migrent, accompagnés de leurs parents ou non.

Dans les années à venir, ces chiffres devraient vraisemblablement augmenter sous l’effet de la démographie et de l’absence de possibilités de développement et d’emplois dans les zones rurales, mais aussi en raison des changements environnementaux : on estime que, d’ici à 2050, le monde comptera quelque 200 millions de réfugiés dits climatiques.
L’Afrique, avec sa population jeune et sa croissance démographique rapide, sera particulièrement touchée. L’ONU prévoit qu’entre 2010 et 2020, la tranche des enfants de 10 à 14 ans augmentera, à elle seule, de plus de 27 millions de personnes. Les circonstances actuelles font qu’un grand nombre de ces enfants grandissent en zone rurale et que, à l’adolescence, ils voudront migrer pour rechercher un avenir meilleur.

Les enfants migrent pour fuir la violence – qui s’exerce, selon les cas, à la maison ou à l’école –, voire pour échapper à un mariage forcé ou arrangé, à la persécution motivée par leur appartenance à une minorité, ou à un conflit armé. Lorsqu’ils migrent, ils demeurent très exposés au risque de violence, de maltraitance et d’exploitation, y compris au fléau du travail des enfants.

Non accompagnés, les enfants migrants sont particulièrement exposés à l’exploitation, à la contrainte et à la tromperie, et ce d’autant plus qu’ils sont jeunes ou qu’ils ne parlent pas la langue du lieu de destination. Les filles sont exposées à un risque élevé de traite ainsi que de violence et d’exploitation sexuelles.

Différentes études révèlent que les travailleurs migrants mineurs sont particulièrement vulnérables à l’exploitation. Victimes des mauvais traitements que leur infligent des employeurs peu scrupuleux, ils souffrent de l’isolement et de conditions de travail infrahumaines, sont privés de salaire ou menacés d’être dénoncés aux autorités et renvoyés dans leur pays d’origine.

Le plus souvent, les enfants migrants traversent les frontières sans papiers ou documents d’identité en règle. Qu’ils soient adultes ou mineurs, les migrants sans papiers sont souvent dans l’impossibilité, dans le pays d’arrivée, d’accéder aux services sociaux de base, notamment à l’éducation et à la santé, ou aux services de protection qui leur permettraient de lutter contre les formes de violence auxquelles ils peuvent être exposés et de s’assurer une réadaptation et une réinsertion sociale.

Il n’est pas rare que des enfants soient arrêtés, détenus ou emprisonnés en raison de leur statut de migrant, parfois dans des conditions inhumaines, avec des adultes, en violation du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme le prescrit la Convention relative aux droits de l’enfant, la privation de liberté ne peut se faire de façon illégale ou arbitraire et doit n’être qu’une mesure de dernier ressort ; dans les cas exceptionnels où elle peut être justifiée, elle sera d’une durée aussi brève que possible.

En dépit de leur nombre croissant et des liens indéniables existant entre migrations, violence et exploitation, les enfants migrants représentent une question largement ignorée dans les débats sur la migration ; elle est également absente des débats sur la protection de l’enfance et le travail des enfants. En politique, les mesures prises à cet égard sont, dans le meilleur des cas, dispersées ; elles peinent largement à protéger les droits des enfants migrants et à leur offrir de véritables possibilités d’épanouissement personnel.

Or, la protection des droits fondamentaux des enfants dans le contexte des migrations est un impératif moral et juridique !!!

À cet égard, les gouvernements ont une responsabilité de premier plan ; ils doivent solidement appuyer leur action sur le fondement normatif des droits de la personne convenu par la communauté internationale. La Convention relative aux droits de l’enfant et ses protocoles facultatifs interdisent toute discrimination quelle qu’elle soit ; leurs dispositions requièrent des États qu’ils protègent les droits de tous les enfants relevant de leur juridiction, notamment qu’ils les protègent de la violence et de l’exploitation, que ces enfants soient leurs nationaux, des étrangers ou des apatrides. La Convention no 182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants constitue un cadre concret pour la protection des enfants, y compris dans le contexte de la migration, contre les formes les plus graves d’exploitation.
Par ailleurs, dans la Feuille de route en vue de l’élimination des pires formes de travail des enfants d’ici 2016, adoptée à La Haye en 2010, on invite les gouvernements à « explorer les moyens d’aborder l’éventuelle vulnérabilité des enfants [en particulier] aux pires formes de travail des enfants dans un contexte de flux migratoires ».

Le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants a souligné l’obligation des États « d’assurer la protection de tous les enfants à tous les stades du processus migratoire ».

Ces instruments juridiques et déclarations politiques constituent un fondement solide pour la prévention et l’élimination de toutes les formes de violence à l’égard des enfants ; d’un point de vue stratégique, ils permettent de placer la question de la protection des enfants contre la violence au cœur des programmes de politique nationale, garantissant ainsi la prise en compte systématique, à titre prioritaire, de l’intérêt supérieur de l’enfant.

En nous tournant vers l’avenir pour réfléchir à l’approche à adopter afin d’instaurer un environnement protecteur pour les enfants migrants, nous devons impérativement avoir à l’esprit un point important, à savoir, que les enfants et les jeunes sont nombreux à décider, de leur plein gré, de s’expatrier, quittant souvent des zones rurales, dans l’espoir d’un lendemain meilleur. Si la migration en soi s’accompagne de nombreux risques, elle est également porteuse, pour les enfants, de perspectives de développement, d’éducation et, avec l’âge, d’emploi.

Quant à nous, nous ne saurions nous employer à mettre un terme à la migration volontaire, mais plutôt à offrir un cadre sûr qui permette de prévenir la violence et l’exploitation, y compris le travail des enfants, et qui aide les enfants à prendre des décisions éclairées.

Pour ce faire, nous devrions garder à l’esprit les principes suivants :

Tous les enfants, y compris les enfants migrants, ont droit au respect de leurs droits fondamentaux. Dans toute décision prise, l’intérêt supérieur de l’enfant devra être la considération primordiale. Cela n’est pas une option : c’est une obligation en droit !

Le cas de chaque enfant est unique ; il doit être examiné à la lumière de la situation particulière de l’intéressé, compte tenu de son âge et de ses besoins particuliers. Qui plus est, cet examen doit s’appuyer sur l’avis, le point de vue et l’expérience de l’enfant.

Lors de l’élaboration de lois, de politiques et de réglementations sur la migration, il faut impérativement s’appuyer sur les normes internationales fondamentales des droits de l’homme, en particulier la Convention relative aux droits de l’enfant et ses protocoles facultatifs, les Conventions de l’OIT no 138 concernant l’âge minimum d’admission à l’emploi et no 182 concernant l’interdiction des pires formes de travail des enfants, ainsi que sur les Protocoles de Palerme sur la traite des êtres humains et le trafic illicite de migrants.

Pour autant, une difficulté majeure demeure : celle de l’absence de données et de recherches sur les enfants dans le contexte de la migration, laquelle, à son tour, explique pourquoi la question de l’enfance brille par son absence dans le débat sur les migrations. Comme le souligne le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants, le manque de données statistiques sur les enfants dans le processus migratoire compromet l’élaboration de lois, de politiques et de programmes, ainsi que de budgets, destinés à la protection des droits des enfants dans ce contexte.

Enfin, qu’ils soient transfrontières ou intranationaux, les flux migratoires appellent dans tous les cas une coopération internationale, tant pour prévenir les migrations à risque que pour protéger les droits des enfants en déplacement, ainsi que pour aider à la mise au point d’une réponse coordonnée de gouvernance entre et dans les pays.

Marta Santos Pais
New York, le 17 mai 2011