Pourquoi la protection des enfants contre la violence doit être au cœur du programme mondial de développement durable
La protection des filles et des garçons contre toutes les formes de violence est une préoccupation que la communauté internationale ne peut se permettre de laisser de côté dans le programme de développement pour l’après-2015.
Il est essentiel d’éliminer la violence pour bâtir un avenir durable dans lequel les enfants pourront grandir en bonne santé et être bien alimentés, résilients, instruits, sensibles aux différences culturelles et ne faire l’objet d’aucune maltraitance ou négligence. Un avenir dans lequel l’égalité et le progrès social seront une réalité pour tous les membres de la famille humaine.
Même s’ils ont accompli d’importants progrès dans la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), les pays touchés par la violence sont à la traîne. Le risque de pauvreté et de malnutrition, le taux de mortalité postinfantile et la proportion d’enfants non scolarisés y sont plus élevés qu’ailleurs et la santé y est plus précaire.
La communauté internationale peut toutefois inverser cette tendance en faisant de la protection des enfants contre la violence une réelle priorité dans le programme de développement durable pour l’après-2015.
La violence demeure une dure réalité pour des millions d’enfants du monde entier. Phénomène omniprésent et sournois sur lequel la société ferme les yeux, la violence ne connaît aucune frontière géographique, culturelle, sociale ou économique, et les enfants y sont exposés même là où ils devraient se sentir en sécurité – dans les institutions d’accueil et de justice, à l’école et même à la maison.
Être témoins d’actes de violence, victimes de négligence et de traumatismes, exposés à l’intimidation, à l’humiliation, à la violence physique, à la maltraitance et à l’exploitation, voilà le triste quotidien de nombreux enfants.
La violence a souvent des conséquences irréversibles, en particulier chez les plus jeunes enfants, qui ont peu de moyens d’obtenir de l’aide, qui courent davantage le risque d’avoir des problèmes de santé, y compris émotionnelle, au détriment de leur développement cérébral, et qui, en grandissant, sont plus susceptibles de connaître des problèmes d’attachement et d’agressivité ou de s’infliger des mutilations.
La violence va de pair avec les privations et peut être à l’origine de problèmes de santé, de résultats scolaires médiocres, d’une dépendance à long terme à l’aide sociale et d’un profond sentiment de peur.
Outre les victimes qu’elle fait, la violence compromet le progrès social et le développement durable. Elle est souvent associée à un état de droit précaire, à la défaillance du maintien de l’ordre, à des taux élevés d’homicides, à la forte présence de la criminalité organisée et à l’impunité. La violence a par ailleurs un coût énorme puisqu’elle détourne des milliards de dollars qui pourraient être consacrés aux dépenses sociales, ce qui ralentit le développement économique et porte atteinte au capital humain et social des États. Pour le dire simplement : la violence peut réduire à néant les progrès sociaux et économiques accomplis au fil des années et des décennies.
Sans l’élimination de la violence, le développement social et économique durable des nations ne peut se concrétiser pleinement. Parmi les principaux enseignements tirés des objectifs du Millénaire pour le développement, on a constaté qu’en l’absence d’objectifs, de cibles et d’indicateurs clairs, il était difficile de favoriser l’action, de mobiliser un appui et de suivre les progrès accomplis dans l’élimination de la violence contre les enfants, autant d’obstacles qui entravent à leur tour la réalisation des objectifs de développement connexes.
Cette fois-ci, il est possible de combler cette lacune en faisant de la protection des enfants contre la violence un objectif prioritaire du programme de développement durable pour l’après-2015.
En réalité, la violence envers les enfants n’est pas une question nouvelle du programme de développement. C’est une dimension essentielle du droit à vivre à l’abri de la peur, qui est consacré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et mis en avant dans la Déclaration du Millénaire et la démarche qui en découle.
Dans la Déclaration du Millénaire, le droit des enfants à grandir dans la dignité et sans craindre la violence a été réaffirmé et l’engagement a été pris de n’épargner aucun effort pour lutter contre la violence.
Dix ans plus tard, à l’occasion du Sommet du Millénaire, l’engagement a été pris de renforcer les dispositifs de protection de l’enfance, de mieux vérifier que les engagements pris sont respectés et de prévenir et de réprimer toutes les formes de violence contre les femmes et les filles.
Dans la perspective du programme de développement durable pour l’après 2015, il semble petit à petit se dégager un consensus quant à la nécessité d’achever la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement en suspens en faisant en sorte que la protection des filles et des garçons figure expressément dans le programme de développement.
Comme il est souligné dans le rapport des Nations Unies intitulé « Réaliser l’avenir que nous voulons pour tous », « [l]a prévention et la réduction de toutes les formes de violences et d’abus – et la protection contre leurs manifestations particulière [...] devraient être au cœur d[u programme de développement pour l’après-2015] ».
Le Groupe de personnalités de haut niveau chargé d’étudier le programme de développement pour l’après-2015 a fait écho à cette préoccupation, en reconnaissant que les objectifs du Millénaire pour le développement étaient restés silencieux sur les effets dévastateurs de [...] la violence sur le développement et ne s’étaient pas suffisamment appliqués à cibler les personnes les plus pauvres ou victimes d’exclusion. Comme l’a souligné le Groupe de haut niveau, « vivre à l’abri de [...] la peur et de la violence est le droit humain le plus fondamental, et la base essentielle qui permet d’établir des sociétés pacifiques et prospères. »
Il est ressorti des nombreuses consultations nationales tenues partout dans le monde pour contribuer au programme mondial de développement pour l’après-2015 que la protection des enfants contre la violence était une question tout aussi préoccupante. D’après le rapport intitulé « Un million de voix : le monde que nous voulons », les difficultés les plus urgentes auxquelles font face les populations du monde entier ont trait à leur sécurité personnelle et à la possibilité de vivre en paix. Les inégalités et l’absence de politiques axées sur les enfants et les jeunes y sont considérés comme des facteurs de violence importants et l’élimination de toutes les formes de violence contre les enfants comme un jalon crucial dans le programme de développement.
L’importante démarche intergouvernementale en cours réaffirme cette préoccupation. Elle réitère les engagements forts pris pour prévenir et combattre la violence à l’école et dans les espaces publics ; pour mettre fin à la violence contre les filles et aux faits associés aux mariages d’enfants, aux mariages précoces et aux mariages forcés ; pour réduire la criminalité, la violence et l’exploitation des enfants, et pour éliminer les lois, politiques et pratiques discriminatoires et favoriser une culture de non-violence. Cette démarche appelle également à l’édification d’institutions et de systèmes de justice efficaces, responsables et transparents, qui sont essentiels pour préserver le droit des enfants à vivre à l’abri de la violence et lutter contre l’impunité.
À l’évidence, il existe un large consensus sur la nécessité de placer la protection des enfants contre la violence au cœur du programme de développement durable pour l’après-2015 !
Il reste donc à déterminer la meilleure façon de mobiliser des moyens d’action et de tirer parti des progrès accomplis dans les années à venir. À cette fin, il faudra franchir trois étapes cruciales :
Premièrement, la protection des enfants contre la violence, y compris les filles et les garçons les plus vulnérables et les plus marginalisés, doit constituer explicitement un objectif prioritaire du programme mondial de développement et être reconnue comme une question interdisciplinaire touchant à tous les domaines pertinents de ce dernier. À cette fin, des dispositifs inclusifs, durables et correctement financés doivent être mis en place pour assurer la protection des enfants et des investissements judicieux doivent être faits pour garantir à tous les enfants du monde l’accès aux services sociaux de base et aider les familles à s’occuper de leurs enfants et à les protéger.
Deuxièmement, la communauté internationale doit mesurer ce qui lui tient à cœur. En se fondant sur les efforts déployés dans le système des Nations Unies, mais aussi dans le milieu universitaire et dans les nations de toutes les régions, il est indispensable de promouvoir l’établissement d’objectifs, de cibles et d’indicateurs concrets afin d’accélérer et de contrôler les progrès.
Troisièmement, il faut impérativement tenir compte de l’avis de ceux qui sont les plus concernés, à savoir les enfants et les jeunes eux-mêmes ! Il ne fait aucun doute que vivre à l’abri de la violence est pour eux une priorité. Il faut toutefois leur donner de véritables occasions de façonner la voie à suivre, pas juste ponctuellement, mais à titre de véritables partenaires et agents de changement.
Je suis convaincue que nous continuerons d’allier nos efforts au cours des mois à venir pour que la protection des filles et des garçons contre toutes les formes de violence, partout et en tout temps, figure au cœur du programme mondial de développement. Il ne s’agit pas uniquement d’une obligation éthique et d’un impératif des droits de l’homme, c’est aussi une question de bonne gouvernance et de bonne économie !
Mme Marta Santos Pais,
New York, 24 avril 2014